Un riz thaï sauté parfumé à la pâte de crevettes accompagné de porc caramélisé et d’un éventail de garnitures croquantes et fraîches.
La première chose qui vous frappe, c’est ce parfum saumâtre et fumé. Il s’élève d’un monticule de riz brun-violacé, luisant sous les éclairages du marché. Une seule assiette concentre quatre goûts essentiels : la salinité fermentée de la pâte de crevettes ; une douceur presque de confiserie ; l’acidité vive de la mangue ; et une pointe de piment.
Le Khao Kluk Kapi étonne encore les amateurs même aguerris de cuisine thaïlandaise, tant il refuse d’être rangé parmi les simples « riz frits ». Chaque bouchée offre une leçon miniature d’équilibre, de mémoire et de sobriété, et demeure curieusement absente de la plupart des menus touristiques, prête à surprendre le prochain palais aventureux.
Des cuisines royales aux foyers
L’histoire commence au début du XIXe siècle. À la cour du roi Rama II, les cuisiniers s’inspirent d’un plat du peuple Mon : ils mêlent pâte de crevettes fermentées, déjà pierre angulaire de la cuisine, à du riz de la veille. Le tout rappelle un ancien mets princier à base de poisson-chat grillé.
Derrière son parfum capiteux se cache pourtant un statut de plat réconfort. En 1907, alors qu’il voyageait en Europe, le roi Chulalongkorn nota dans son journal qu’il rêvait de la version que sa grand-mère mélangeait à la main : un souvenir qui atteste de son pedigree royal.
Longtemps, cependant, ce mélange à la main a fait passer le Khao Kluk Kapi pour trop informel lors des réceptions, l’étiquette réprouvant les gestes odorants effectués avec les doigts. Avec le temps, les foyers de Bangkok se sont approprié la recette, troquant les plateaux d’argent contre de simples bols émaillés.
Ces dernières décennies, on le retrouve chez certains vendeurs de rue, surtout dans le centre du pays. Ils disposent ses condiments avec une précision quasi cérémonielle et prouvent qu’un riz de la veille peut encore susciter une queue à l’heure du déjeuner.
Les indispensables dans l’assiette d’un vrai Khao Kluk Kapi
Riz parfumé à la crevette et les « Sept Magnifiques »
Tout tourne autour du kapi. Un bon cuisinier commence par griller ou sauter la pâte, d’un mauve profond, jusqu’à ce que son odeur de poisson prenne des accents de noisette, puis incorpore du riz jasmin de la veille, ou le plus ferme Khao Sao Hai, afin que chaque grain s’enrobe d’un voile uniforme.
Bien exécuté, le riz affiche une teinte brun-violacé constante (bon, par chez nous difficile de trouver de la pâte mauve mais voilà), libère un discret parfum marin et ne vire jamais à l’âcre.
À partir de là, sept accompagnateurs composent l’assiette:
- Porc sucré : dés de poitrine longuement braisés, laqués de sucre de palme et de sauce soja pour une profondeur collante.
- Saucisse chinoise : fines rondelles réchauffées à la poêle qui exhalent une douceur aillée. Celle-ci est facultative
- Crevettes séchées croustillantes : on les plonge quelques secondes dans l’huile ; elles éclatent ensuite comme de petits pétillants salés. De l’avis de nombreux Thaïlandais, l’assiette est « nue » sans elles.
- Rubans d’œuf : fine omelette façon crêpe, découpée en confettis jaunes pour apporter douceur et contraste de couleur.
- Mangue verte non mûre : taillée en julienne d’éclats acidulés qui tranchent dans la richesse ; le jus de citron vert n’est qu’un substitut de fortune.
- Échalotes crues & piments œil-d’oiseau : morsure piquante et chaleur fulgurante, servies en pétales translucides et anneaux écarlates.
- Concombre et coriandre : croquant rafraîchissant et parfum herbacé, la remise à zéro entre deux bouchées.
Interrogez les traditionalistes thaïs : ils égrèneront les marqueurs d’une version authentique : un dôme de riz brun-violacé grâce à une véritable pâte de crevettes, une roue bien ordonnée des condiments et, rappel sans équivoque, une omelette finement émincée, jamais un œuf au plat avachi sur le dessus. Un riz pâle, l’absence de mangue ou l’ajout d’une sauce huître constituent des signaux d’alerte immédiats.
En ligne, des discussions entières ressemblent à des enquêtes culinaires : expatriés troquant des astuces pour remplacer la mangue verte, puristes déplorant les restaurants qui « pad-thaïsent » le plat, et le chef Andy Ricker rappelant sèchement qu’il est tout simplement impossible de préparer un Khao Kluk Kapi sans kapi.
Même à Bangkok, certains bistrots huppés ont tenté d’y glisser des haricots kilomètres, initiatives qui attirent les regards indignés des vendeurs perfectionnant ces proportions traditionnelles depuis leur enfance.
Le contexte culturel et l’art de sa dégustation en Thaïlande
Dans la philosophie culinaire thaïlandaise, un plat n’est jugé krop krueng, « parfaitement assaisonné », que lorsque chacune des saveurs fondamentales répond à l’appel. Les convives matérialisent ce principe en mélangeant eux-mêmes riz et condiments à table, un rituel que certains comparent volontiers à un bibimbap transposé en version thaïe.
Ce geste salue aussi la frugalité domestique : le riz restant rejoint les protéines et les légumes oubliés du garde-manger, relevés par une cuillerée de pâte de crevettes, omniprésente dans tout le pays.
Né dans les plaines centrales, le plat suscite aujourd’hui une fierté particulière dans le Sud, grand amateur de pâte de crevettes, où les marchés alignent des seaux de kapi aux nuances allant de l’argile au prune.
Khao Kluk Kapi – Riz thaï à la pâte de crevettes et porc sucré
Matériel
Ingrédients
Riz
- 5 portions de riz jasmin cuit
- 5 cuillères à soupe de pâte de crevettes
- 5 gousses d’ail haché
- 3 cuillères à soupe d’huile pour faire sauter
Porc sucré
- 800 g de poitrine de porc tranchée en bouchées
- 4 échalotes finement émincées
- 300 g de sucre de coco version semi-liquide du sucre de palme
- 3 cuillères à soupe de sauce soja light
- 1 cuillère à soupe de sauce soja dark
- 240 ml d’eau
- 3 cuillères à soupe d’huile
Garnitures
- lanières d’omelette fine coupée en fines lanières
- crevettes séchées frites croustillantes
- mangue verte acide en julienne, optionnel
- haricots longs en tranches
- échalotes finement tranchées
- piments thaïs tranchés
- saucisse chinoise frite et tranchée, optionnelle
- quartiers de citron vert
- tranches de concombre
Procédé
Porc sucré
- Chauffer l’huile et faire revenir les échalotes jusqu’à ce qu’elles soient parfumées.3 cuillères à soupe d’huile, 4 échalotes
- Ajouter la poitrine de porc et faire sauter brièvement.800 g de poitrine de porc
- Verser l’eau, couvrir et laisser mijoter à feu doux 1 à 2 h jusqu’à tendreté.240 ml d’eau
- Découvrir, ajouter le sucre et les sauces soja puis laisser réduire jusqu’à obtention d’un glaçage sirupeux.300 g de sucre de coco, 3 cuillères à soupe de sauce soja light, 1 cuillère à soupe de sauce soja dark
- Garder le porc sucré au chaud.
Riz
- Mélanger la pâte de crevettes avec le riz cuit jusqu’à enrobage uniforme.5 cuillères à soupe de pâte de crevettes, 5 portions de riz jasmin cuit
- Chauffer l’huile dans un wok et faire frire l’ail jusqu’à ce qu’il soit parfumé.3 cuillères à soupe d’huile, 5 gousses d’ail
- Ajouter le riz enrobé et faire sauter à feu moyen jusqu’à ce qu’il soit bien chaud et aromatique.
Garnitures
- Battre des œufs, cuire une fine omelette, la rouler puis la couper en lanières.lanières d’omelette fine
- Faire tremper puis frire les crevettes séchées jusqu’à croustillant.crevettes séchées frites
- Préparer la mangue, les haricots longs, les échalotes, les piments et la saucisse comme décrit.mangue verte acide, haricots longs, échalotes, piments thaïs, saucisse chinoise
Service
- Former un monticule de riz au centre de chaque assiette.
- Disposer le porc sucré et toutes les garnitures autour.
- Inviter les convives à presser le citron vert et à tout mélanger avant de déguster.quartiers de citron vert
Notes
- Le khao kluk kapi est servi en mode « plateau à composer » : chacun ajuste le sucré-salé-acide-épicé à son goût.
- L’échine de porc légèrement grasse donne un glacis brillant.
- Une bonne pâte de crevettes thaï se trouve en épicerie asiatique ; une pomme verte acide peut remplacer la mangue verte.
Nutrition
Sources culinaires
• Khao khluk kapi (ข้าวคลุกกะปิ) – Wikipédia (thaï)
• Khao khluk kapi – Wikipédia (anglais)
• Khao khluk kapi : article de santé – Fondation Médecin de village (thaï)
• Khao khluk kapi riche en minéraux – Thai Taste Therapy (thaï)
• Mae Krua Hua Paak, tome 4 – Histoires anciennes racontées de nouveau (thaï)
• Semaine 9 : Thaï – Khao khluk kapi ข้าวคลุกกะปิ (riz frit à la pâte de crevettes) – Reddit (r/52weeksofcooking) (anglais)
• Quel plat ou quelle boisson thaïlandais(e) est, selon vous, sous-estimé(e) ? – Reddit (r/Thailand) (anglais)
• Anatomie de Khao khluk kapi – déconstruction d’un plat thaïlandais – Ohsirin (anglais)
• Khao khluk kapi – recette facile – Thai Food Made Easy (anglais)
• Andy Ricker de Pok Pok : comment commander des plats thaïlandais – Condé Nast Traveler (anglais)
